Depuis début 2022, nous avons intercepté plusieurs membres à la caisse pour cause de vol. L’un d’eux a fait ses premières courses et, compte tenu de son historique, certainement son premier vol le 17 novembre 2016, jour d’ouverture de notre supermarché. Après étude, nous estimons que cette personne a probablement volé entre 20 000 et 30 000 euros de marchandises au fil des années. Un autre membre a peut-être volé autant (depuis 2017), mais nous avions moins d’élément et ne pouvons pas le savoir. Nous avons également réussi à arrêter un intrus qui sortait du magasin avec un sac de 200€ d’alcools non payés. Son chemin pour entrer et sortir du magasin était efficace, malin… ce n’était pas la première fois qu’il nous rendait visite.

Malheureusement, nos inventaires hebdomadaires nous indiquent que ceux que nous avons attrapés ne représentent qu’une petite partie de ceux qui volent à La Louve. Au cours du premier semestre de 2023, nous allons installer des caméras d’enregistrement pour faire face à ces pertes. Il s’agit d’un projet de longue date.

 

Historique

En 2012, au moment où nous commencions à étudier les températures des réfrigérateurs et comment fonctionnaient exactement les rattrapages, nous discutions également avec Joe et Ann, nos interlocuteurs de longue date de la Park Slope, des endroits où placer stratégiquement des caméras pour protéger notre coopérative contre le vol et ses membres et employés contre d’éventuelles agressions. « Le vol est un enjeu dans n’importe quel grand magasin, et il serait irresponsable de penser que juste parce que vous êtes une coopérative, vous pouvez vous abstenir de faire face à ce problème » nous ont-ils dit. « Les caméras sont, heureusement ou malheureusement, le seul moyen vraiment efficace disponible pour empêcher le vol de nuire à votre projet ou de le détruire. »

Le projet d’installation de cameras a été donc inclus dans notre budget d’aménagement voté en assemblée générale l’hiver 2015.

Des contraintes financières et de temps, puis la crise du Covid, ont retardé la mise en place de notre système qui est maintenant prévu pour cette année, si possible au cours du premier semestre.

 

Pas uniquement pour les vols

Si la prévention des vols est la première motivation pour l’installation de nos caméras, celles-ci sont également nécessaires pour résoudre d’autres problèmes importants à La Louve.

  • Répondre aux litiges fournisseurs lorsqu’un colis est manquant ou abîmé (il y aura une caméra sur le quai de livraison)*.
  • Sécuriser les salariés en charge du traitement des espèces, ainsi que ceux qui assurent la fermeture du magasin le soir. Quand nous avons consulté le commissariat du quartier au sujet de nos problèmes de vol, ils ont été très surpris d’apprendre que notre supermarché, bien que gérant de l’argent liquide, ne disposait pas de caméras. Ils nous ont dit que si les caméras ne constituaient pas une garantie contre les braquages, leur absence était certainement un point de vulnérabilité voire une invitation. De plus, en cas d’agression, les démarches de poursuites et d’éventuelles indemnisations sont beaucoup plus difficiles en l’absence d’images témoignant des faits. Il faut donc être bien conscients que l’absence de caméras rend le magasin et ses salariés vulnérables vis-à-vis d’éventuelles actions malveillantes venant de l’extérieur. Si jusqu’à présent nous n’avons eu qu’à absorber des intrusions non-violentes, nous ne pouvons être certains qu’il en sera toujours ainsi.
  • Confirmer ou infirmer la présence d’un membre pendant son service lors d’un désaccord entre un membre et un coordinateur d’équipe ou le bureau des membres.
  • Confirmer ou infirmer des soupçons d’oublis volontaires ou involontaires de marchandise consommée en magasin et non payées. Les enregistrements vidéo nous aideront également à résoudre rapidement le problème récurrent des membres qui quittent (en toute innocence) le magasin avec le mauvais caddie.
  • Savoir qui est parti sans récupérer sa monnaie dans le monnayeur.
  • Eviter un climat de suspicion permanent. Joe de Park Slope insiste sur ce point. « Paradoxalement, c’est l’absence de caméras qui favorise une ambiance de suspicion. Les membres désireux de protéger leur coopérative communiquent leurs soupçons aux salariés. Mais sans confirmation ou infirmation rapide par vidéo, la liste des voleurs potentiels ne cesse de s’allonger. Une ambiance s’installe où beaucoup de personnes innocentes sont probablement soupçonnées sans que cela ne soit jamais résolu. Une utilisation efficace de l’enregistrement vidéo est l’alternative à une culture de la dénonciation. » Avec des inventaires réguliers et des caméras, il suffit de croiser des données et de visionner des images pour trouver les voleurs.
  • Témoigner d’éventuelles confrontations physiques entre membres (ou non-membres, dans le cas d’intrusion, d’agression extérieure) ou entre membres et membres salariés.
  • Eviter aux employés la situation potentiellement violente de devoir affronter physiquement les voleurs potentiels. Sans caméras, la seule façon d’avoir des preuves suffisantes pour porter plainte et/ou exclure un membre de notre coopérative est de l’affronter physiquement, de le prendre en flagrant délit devant des témoins. C’est la méthode utilisée pour ceux que les salariés ont arrêté jusqu’à présent mais elle n’est pas tenable. En plus du stress qu’implique le fait d’accuser quelqu’un devant les autres membres (et si on se trompait ?), le risque de violence physique ou de représailles futures est bien présent. Sans caméras, nous obligeons notre équipe salariée à devenir des vigiles.

Enregistrement vidéo, et non surveillance vidéo

 

Comme c’est le cas chez Park Slope, le système d’installation choisi fonctionne sur le principe de l’enregistrement vidéo et non de la vidéo-surveillance : personne ne passera ses journées à visionner en direct ce qui se passe dans le magasin. Le visionnage interviendra dans le cadre d’une enquête interne en cas de soupçon de vol, de preuve de livraison en cas de litige fournisseur ou encore dans le cadre d’un dépôt de plainte auprès du commissariat en cas d’agression.

Les visionnages seront effectués uniquement par l’équipe salariée, leurs conclusions validées par des membres non-salariés élus au comité de gouvernance. “Epingler les voleurs » ne sera pas une tâche pour les membres en service.

L’enregistrement est valable un mois, après quoi les images sont détruites, sauf en cas d’enquêtes probantes.

L’ensemble des détails et procédures pour le traitement des données relatives aux cas de vols sera présenté dans une prochaine AG et feront l’objet d’un futur article dans la Louveletter.

 

Voler fait mal

 

En attendant la mise en place de notre système de vidéo-enregistrement, nous avons déjà pris certaines mesures pour essayer d’empêcher les vols, notamment promouvoir l’utilisation des panier de courses plutôt que les sacs personnels (surtout les énormes sacs à dos…), inciter les membres qui préfèrent faire leurs courses avec leur propre sac à l’ouvrir et le montrer au caissier lors du passage en caisse. Il s’avère difficile de faire appliquer ces consignes de manière systématique, certains membres ne souhaitant pas endosser le rôle de “contrôleur”, ce que se comprend, d’autres membres se sentant soupçonnés à la simple évocation de cette pratique. En tout cas, nous doutons que cette tentative ait eu beaucoup de succès dans la prévention des vols, et même si c’était le cas, nous pouvons constater que ce n’est pas suffisant.

Il est difficile pour nous d’estimer l’ampleur exacte des vols à La Louve**, mais nous sommes certains que cela se chiffre à plusieurs centaines d’euros par semaine. Nous pensons que les vols ont été un facteur important de notre bilan déficitaire en 2021.

Mais pour mesurer réellement l’impact des produits volés, il faut faire un peu de mathématique.

Si quelqu’un vole un article qui coûte 10 euros en rayon, le magasin perd immédiatement environ 8,30€ (le prix payé au fournisseur). Mais pour compenser ces 8,30€, nous n’avons à notre disposition que la petite marge que nous réalisons réellement sur un produit (environ 16,5%) ; vendre un autre produit à 10 euros ne nous rapporte que 1,65.

Donc, juste pour revenir à zéro et payer nos pertes, même pas pour commencer à gagner l’argent dont nous avons besoin pour payer les salaires, l’électricité, etc. nous devons vendre 50 euros de produits tous les 10 euros volés. Si des membres volent 500€ par semaine, cela revient donc à ne dégager aucune marge sur 2500€ de ventes hebdomadaire…chiffre qui se traduit en fin d’année par une perte sèche d’une vingtaine de millier d’euros. Rappelons nous que nous étions déficitaires de l’ordre de 52 000€ en 2021.

 

*  Il arrive parfois que les palettes livrées soient endommagées, ou qu’elles ne soient pas complètes. Certains fournisseurs exigent le signalement du problème sur le bon de livraison qui est rendu au livreur, ce qui n’est pas toujours possible : souvent, c’est après avoir pointé entièrement la palette qu’on est en mesure de dire le nombre de colis manquants. La preuve vidéo de nos dépalettisations donnée à nos fournisseurs peut résoudre ce problème.

**Estimer le niveau de vols dans un tel périmètre n’est pas impossible, mais compliqué et, surtout, chronophage. Quand, lors de nos inventaires mensuels, nous constatons un écart entre le nombre de produits censés être là et la réalité, plusieurs explications sont possibles. Est ce dû à une mauvaise saisie du bon de livraison ? Une erreur du décompte des membres des produits très similaires ? Un cas de casse ou des produits périmés (que nous saisissons dans notre système informatique). Un produit non-scanné à la caisse ? Une recherche exhaustive peut prendre quelques jours, et, par manque de temps, nous ne faisons que de brèves enquêtes à partir desquelles nous extrapolons la situation globale. Exemple : un suivi de 3 mois du rayon vins nous permet d’estimer un niveau de vols dans ce rayon à la hauteur de 800€ par mois.