Nous ne trouvons pas pour l’instant de meilleure formulation pour décrire cette période que pré-post Covid. Nous avons l’impression que le pire est derrière nous sans intuitions fiables que les petites améliorations des conditions de vie que nous voyons représentent un trajet stable. Il est sûr que « le monde a changé », mais il est moins évident de savoir quelles nouvelles tendances sont temporaires et lesquelles sont là pour rester.
Coté Louve, la crise sanitaire a mis brutalement fin à des années de croissance économique affolante et nous a laissés pour la première fois depuis notre ouverture en 2016 avec des défis économiques. Il ne s’agit pas (du tout !) d’une crise, mais de difficultés surmontables qui ne mettent aucunement notre projet en danger.
Évolution de notre chiffre d’affaires (CA) pré-Covid
2017 3,9 millions
2018 5,7 millions (+ 46%)
2019 7,2 millions (+ 26%)
Évolution post Covid
2020 7,5 millions (+ 4%) – Pré-Covid, nous attendions 7,7 M (+ 7%)
2021 7,7 millions (+ 3%) – Pré-Covid, nous attendions 8,0 M (+ 4%)
Il est étrange de dire, mais vrai, que nous pouvons nous consoler en nous disant que, pour l’instant, La Louve connaît « seulement » une période de stagnation et non une période de pertes mettant en danger le projet. De manière globale, les supermarchés “physiques” voient leurs chiffres d’affaires de produits alimentaires en baisse de 2 % en moyenne.
Pour le secteur bio/alternatif, la situation est encore plus grave. Suite à un sondage mené par la ville de Paris auprès des magasins “d’alimentation durable”, nous apprenons que 84% des structures ayant répondu ont constaté une baisse de leur CA d’en moyenne 30%. Par ailleurs, 40 % estiment que cette dynamique met en péril leur activité à horizon de 6 mois. Nos distributeurs bio citent régulièrement une baisse d’achats de 10% en 2021 des magasins bio qu’ils fournissent. Chez nous, les achats auprès de nos fournisseurs bio restent relativement stables, certains sont en hausse, d’autres baissent un peu, mais ces derniers sont compensés par une hausse auprès de notre fournisseur des produits conventionnels et bio pas chers. Il semble qu’une partie de nos membres économisent en achetant des produits moins chers, mais dans notre modèle qui propose une très large gamme, ils ne sont pas obligés d’aller ailleurs pour cela.
Dégâts 2020-2021
Comme c’est le cas pour beaucoup de commerces, les divers aspects de la crise sanitaire nous ont posé plusieurs problèmes. Le défi pour les coopératives de consommateurs participatives a été particulièrement menaçant pour deux raisons :
nous comptons sur nos membres pour assurer environ 80 % des tâches en magasin (en temps de travail). Comment allions-nous maintenir notre activité quand, pendant des mois, ces membres n’avaient pas le droit de venir ? À la différence d’un supermarché classique où la plupart des clients vivent dans un rayon de quelques centaines de mètres, 30 % de nos membres vivent en dehors du 18e arrondissement, certains venant d’aussi loin que Versailles ou Fresnes par exemple. Entre les interdictions de s’éloigner à plus de 1 km de chez soi et les réticences de prendre les transports en commun, un impact sur la fréquentation du magasin était à craindre.
Voici, donc, les problèmes principaux de cette période que nous pouvons constater.
Ralentissement de croissance de notre chiffre d’affaires
Voir les chiffres ci-dessus. Nous pouvons estimer que, concrètement, ce ralentissement de CA en lui-même est responsable d’une réduction d’environ 45 000 € de nos bénéfices en 2020, et 90 000 € en 2021.
Hausses imprévues des charges
Pour faire face à une disparition quasi instantanée de participation des membres dans le fonctionnement du magasin, nous avons dû embaucher jusqu’à 5 salariés temporaires.
Si on peut se sentir chanceux que, pour nous, cette dépense a été relativement modeste (chez Park Slope, notre grande sœur à New York, les contraintes ont nécessité l’embauche de plus de 100 salariés en CDD), elle représente tout de même une augmentation de dépenses non prévue sur la masse salariale de 120 000 € supplémentaires par rapport à 2019.
De plus, la rapide et imprévue croissance de notre équipe salariée nous a obligé à passer plus tôt que nous ne l’imaginions à une nouvelle convention collective plus coûteuse. Voici la note à ce sujet de l’avocate en droit du travail qui fait partie de notre comité RH.
Puis, se sont ajoutés d’autres coûts imprévus liés à la crise (achats de masques, gel, désinfectant, plexiglass pour les caisses), mais avec un moindre impact que les coûts liés aux embauches temporaires.
Perte de membres actifs
Depuis le début de la crise sanitaire, La Louve a vu une baisse d’environ 1000 membres actifs*… d’un maximum de 4818 en début 2020 à 3841 aujourd’hui. Bien que nous ayons l’impression d’avoir entendu beaucoup de membres nous dire qu’ils quittent Paris à cause de la Covid, la problématique de perte de membres actifs correspond moins à une fuite massive des coopérateurs qu’à un ralentissement significatif du remplacement de ceux qui partent.
Voici l’évolution du nombre de demandes de départ **, c’est à dire le nombre de membres qui récupèrent leur investissement ou le laissent en don :
- 2018 413 demandes de départ
- 2019 329 demandes de départ
- 2020 395 demandes de départ
- 2021 336 demandes de départ
Moyenne pour 2020 – 2021 = 365 demandes de départ
Le nombre de demandes de départ reste stable. Le problème réside plutôt dans le ralentissement du flux des nouveaux membres. Ce phénomène s’explique principalement par les obstacles que la crise sanitaire a mis sur notre chemin :
- une période de 5 mois où nous avons dû arrêter les réunions d’accueil, et donc un arrêt total des inscriptions de nouveaux membres. Avant la crise, nous inscrivions une centaine de nouveau membres par mois ;
- des règles sanitaires qui nous ont obligés à limiter plus sévèrement le nombre de personnes accueillies à nos réunions d’accueil ;
- lorsque nous avons recommencé les réunions d’accueil en présentiel, un taux de désistement très élevé parmi les inscrits. Trop de monde est soit malade avec la Covid, soit cas contact. En janvier 2022, en plein pic omicron, pour 25 inscrits, seulement 4 sont venus.
Mais nous sommes aussi impactés par la vague de non-engagement qui touche le monde associatif et coopératif : il y a une baisse significative d’inscriptions à nos réunions d’accueil. Nous voyons le même phénomène avec tous les autres projets de supermarchés coopératifs ainsi que dans le monde associatif (AMAP, etc.). Le monde est actuellement trop instable, trop de vies sont en transition et les gens se lancent moins dans de nouvelles aventures.
Tous ces facteurs ont réduit les bénéfices sur lesquels nous comptions pour cette période. Voici les résultats (les profits ou les pertes) pour les deux dernières années :
- 2020 16 076€ – Pré-Covid, nous attendions 176 000€
- 2021 -46 384€ – Pré-Covid, nous attendions 200 000€ (résultat encore provisoire)
Cette réduction des revenus est un défi mais n’est pas, pour l’instant, alarmante. Pour mettre la situation en perspective, s’ils n’avaient pas reçu de subventions à l’emploi, les Park Slope auraient perdu environ 3 millions de dollars au cours de la même période. Des supermarchés coopératifs plus petits que le nôtre ont eu des pertes allant jusqu’à des centaines de milliers d’euros. La Louve n’a reçu aucune aide ou subvention jusqu’à présent pour nous aider à traverser cette épreuve difficile.
*Un “membre actif” signifie un membre inscrit dans une équipe ou qui est d’un autre statut qui indique que son absence d’une équipe est “active” (congé parental, absence pour incapacité, etc.). Pas inclus dans les membres actifs sont les membres d’un statut “désinscrit”. Une analyse de l’évolution “d’acheteurs uniques”, c’est à dire le nombre réel d’individus différentes qui sont passées à la caisse pendant cette période, révèle une perte plus modeste. Il y a environ 600 acheteurs en moins entre février 2020 et février 2022.
** Nous estimons que chaque année 60% de ceux qui quittent Louve le font en silence. Ces personnes ont souvent l’impression que c’est la façon de laisser un don à La Louve, ce qui est faux. Un membre qui souhaite convertir ses parts en don doit contacter La Louve pour le faire.
Mauvais timing pour notre trésorerie
Cette situation économique difficile complique la gestion de notre trésorerie, car, malgré la baisse de nos recettes, 2022 est l’année ou nous devons financer des décaissements les plus importants de notre courte vie :
- Nos remboursements d’emprunts et de parts C sont au plus fort : 304 280 € à rembourser en 2022. Fin de 1er semestre 2023, tout sera remboursé (!! ).
- Le loyer passe au plus haut sur la période du bail. 67 000 € par trimestre environ (charges et taxes comprises).
- Les charges externes vont augmenter en 2022 du fait de l’inflation.
Solutions pour 2022
En analysant les chiffres des premiers mois de 2022, nous ne sommes pas loin d’être à l’équilibre financier. Notre objectif pour l’année est de reconstituer nos bénéfices afin de sécuriser notre trésorerie. Nous travaillerons sur plusieurs solutions à la fois.
Augmenter notre chiffre d’affaires
Membres
Le moyen le plus sûr est de soutenir la courbe de croissance de nouveaux membres, qui depuis un mois se relance doucement en direction positive. Nous n’avons pas besoin de rattraper les 1000 membres actifs perdus pendant la période COVID, mais accueillir 200/300 nouveaux coopérateurs nous apportera un peu plus de confort. A voir ce qui est possible dans ce climat instable.
Actions
- Nous avons adressé un mail aux membres qui ont accumulé de nombreux rattrapages pendant la période Covid proposant des solutions pour leur réintégration.
- Nous avons identifié 200 personnes qui, depuis le début de l’année, se sont inscrites à une réunion d’accueil, mais se sont désistées. Nous allons les recontacter pour proposer une nouvelle réunion en présentiel ou visioconférence.
- Le groupe accueil quartier, hébergé dans notre association Les Amis de la Louve, réactive la distribution des flyers et notre présence aux événements dans le quartier et d’autres actions sont en cours de réflexion.
- Après 18 mois d’absence, il y aura bientôt une couverture de La Louve dans la presse française.
- Si vous connaissez des personnes qui ont envisagé de rejoindre La Louve, ou qui seraient susceptibles de le faire, n’hésitez pas à leur suggérer de participer à une réunion d’accueil.
Ventes Flash
Nous allons accélérer le projet qui nous tient à cœur des ventes ponctuelles des produits que nous ne pouvons pas, par manque de place, proposer en magasin. Batterie de cuisine, textiles, etc. Ces produits seront précommandés et prépayés via l’espace membres.
Réduire nos pertes
En analysant les chiffres de 2021 et le début de 2022, nous constatons une hausse des pertes à La Louve, dues principalement aux vols en magasin. Notre estimation conservatrice est que nous perdons en ce moment 2 500€ par mois en vols. Sachant que dans les 8 premières semaines de 2022, la Louve a enregistré un résultat négatif de 4 000€, notre (triste) constat est que les vols nous empêchent de retrouver notre rentabilité. Même sans augmentation du chiffre d’affaires ou des nouveaux membres, la réduction des vols seule nous permettrait d’être rentables en 2022.
Voici deux scénarios basés sur une stagnation des ventes, mais une amélioration de notre taux de marge (indicateur que nous utilisons pour mesurer nos pertes) :
Si notre marge ne s’améliore pas :
CA : 7 666 513 % (-0,08 %)
Marge brute : 1 244 342 € (15,97%)
Résultat : – 43 309 €
Si notre marge s’améliore :
CA : 7 731 000 % (+0,75 %)
Marge brute : 1 288 829 € (16,67%)
Résultat : 20 901 €
C’est pourquoi, pour éloigner toute suspicion inutile, il est important de faire ses courses avec un panier du magasin et de laisser les sacs volumineux à l’entrée avec les caddies personnels. De même, présenter le fond de son sac quand on a fait malgré tout ses courses avec, doit devenir un réflexe et un acte spontané. Aux coordos : si possible, prévoyez toujours 2 personnes à l’accueil / sortie, en rappelant à chacun d’être vigilant sur les éventuelles tentatives d’entrées par la porte de sortie. Les vols viennent, tristement, de nos membres, mais nous sommes aussi ciblés par des intrus.
Solutions palliatives pour notre trésorerie
Nous avons pris contact avec des institutions qui soutiennent notre projet, notamment la ville de Paris et, si besoin, il y a des pistes rassurantes pour un petit coup de pouce sur notre situation de trésorerie.
- Un prêt à taux d’intérêt zéro, à des conditions très douces de remboursement, auprès de Paris Initiative Entreprise
- D’éventuels reports ou suppressions des paiements de loyer
Terminons cet état des lieux en faisant ensemble cet agréable constat partagé par les salariés et de nombreux coordos : la bonne ambiance dans les équipes, brisée un temps par les événements des deux dernières années, se réinstalle, nous nous retrouvons ! Côté association, ça bouge aussi : cours de cuisine, club ciné, soirées péniche, échanges de savoirs … jeunes pousses de printemps !