Notre modèle

Le rayon fruits et légumes de la coopérative de Park Slope est célèbre à juste titre. On y trouve près de 350 articles provenant d’une vingtaine de fournisseurs, des jeunes pousses de luzerne cultivées à Brooklyn même, e passant par les champignons Enoki venant de Corée. Des délais de livraison courts et un taux de rotation très élevé (une cagette entière est vendue chaque minute) assurent une fraîcheur impressionnante à ces produits. Le choix, large et divers, reflète l’hétérogénéité des membres ainsi qu’un milieu de distribution professionnel bien structuré et organisé. Géré par une équipe de 8 salariés disposant de logiciels de commande et de suivi des stocks sur mesure, secondés par plusieurs équipes de membres spécialisées (mise en rayon, reconditionnement, étiquetage), ce rayon est la pièce maîtresse du magasin et l’aboutissement de 40 ans de mise en place.

Nous avons passé (et continuons à passer) des centaines d’heures à nous entretenir avec l’équipe des acheteurs de la Park Slope, et surtout avec celui qui fut le principal acheteur de fruits et légumes entre 1975 et 1990, le fondateur de la coopérative, Joe Holtz, afin d’apprendre de leur expérience et de faire évoluer notre magasin dans le bon sens.

Le rayon fruits et légumes, un rayon délicat et complexe

Diversité des habitudes culinaires des membres à satisfaire, fragilité et périssabilité des produits… les acheteurs chargés de l’approvisionnement de ce rayon doivent constamment faire des choix difficiles. Il doit être varié et divers mais modérément, ou pas toujours. La décision de proposer un choix (entre plusieurs carottes, par exemple) afin de répondre aux demandes divergentes des membres ne peut pas être prise avant qu’aient été étudiés de nombreux facteurs. À la différence des boîtes de sauce tomate, dont la date de péremption est toujours très éloignée, les fruits et légumes doivent se vendre vite. Il n’est pas toujours possible, ni souhaitable, de proposer plusieurs variantes d’un même produit dans ce rayon, alors que le faire dans le rayon des conserves ne poserait pas aucun problème. Voici donc un exposé de quelques-unes des contraintes spécifiques à la gestion de notre rayon fruits et légumes et que nous prenons en compte à chaque fois que nous passons commande (c’est-à-dire chaque jour du lundi au vendredi).

Saisonnalité

La question de la saisonnalité dans le rayon fruits et légumes se pose parfois. Certains coopérateurs s’étonnent de voir, par exemple, des courgettes venant d’Espagne au mois de février (c’est un exemple, il y en a d’autres, même si aucune remarque n’a jamais été faite sur la présence en rayon d’oranges au mois d’août). En tant qu’acheteurs, nous nous attendions l’année dernière à ce que les ventes de courgettes ralentissent en automne. Cependant, tout au long de l’hiver, les membres ont continué à acheter au moins 135 kg de courgettes par semaine. La demande restait donc bien réelle. Il en va de même pour les tomates, avec environ 54 kg achetés par semaine. La Louve doit permettre avant tout, et cela depuis le début, à ses membres d’acheter tous les produits qu’ils souhaitent s’il y a suffisamment d’autres personnes qui ont les mêmes souhaits, pourvu que la coopérative ait les moyens de les fournir. En essayant de mettre sur nos rayons une offre qui reflète au mieux les désirs de nos membres, nous prenons en compte ce que ces membres veulent acheter, jamais ce qu’ils ne veulent pas voir dans le magasin car ce serait, pour ainsi dire, interdire aux autres d’acheter ce qu’ils veulent, eux. C’est là le principe coopératif : essayer de faire en sorte que chacun puisse trouver tout ce dont il a besoin et envie. Ainsi, il y aura forcément des choses dont nous ne voulons pas, mais rien ne nous oblige à les acheter.

Sur cette question ou sur une autre, si un coopérateur souhaite faire part d’une idée, d’un désir, etc. aux autres, il a plusieurs moyens à sa disposition : en parler à ses coéquipiers, mettre un post sur Facebook ou sur le forum (probablement le moyen le moins efficace), soumettre une lettre détaillée et documentée qui sera éventuellement publiée dans la newsletter, organiser un atelier autour de cette thématique (dans ce cas, il doit se rapprocher du groupe convivialité), proposer une conférence ou une projection auprès du conseil d’administration de l’association (le moyen qui demande le plus de travail et qui doit être organisé longtemps à l’avance).

Provenance

Il y a deux principales raisons pour lesquelles nous achetons des produits hors de France, plus ou moins éloignés de Paris : la disponibilité et le prix (mais n’oublions pas que les Pays-Bas sont plus proches de chez nous que le Gers, par exemple, et que Marseille est aussi loin de nous que le sont Manchester et Nuremberg).

Si un coopérateur souhaite n’acheter que des fruits et légumes français, le choix s’en trouvera nettement réduit puisque, outre le critère climatique qui limite certaines productions, les surfaces agricoles en bio en France ne représentent (en 2016) que 5,5% (incluant élevage, cultures céréalières, etc.) alors qu’elles s’élèvent à 14,5% en Italie et à 8,7% en Espagne (64 210 producteurs en bio en Italie, contre 32 264 en France). Nous essayons autant que possible de proposer des alternatives françaises aux fruits et légumes provenant d’Espagne ou d’Italie, lesquels restent moins chers. Ceci est relativement facile au début de l’été, où nous pouvons proposer à la fois des courgettes longues vertes d’Espagne ainsi que des courgettes blanches, jaunes ou rondes de France. Mais au mois de mai, cela s’avère beaucoup plus ardu car la disponibilité des fruits et légumes bio de France est bien plus faible et plus aléatoire. Parfois, la quantité qu’on peut nous fournir ne suffit que pour une journée voire moins, et le produit se trouve en rupture chez le fournisseur dès le lendemain.

Au mois d’août, nous sommes confrontés à un autre problème qui rend également difficile la proposition de plusieurs variantes d’un même article (plusieurs origines, prix, etc.) : du 20 juillet au 20 août nos ventes baissent de 50%. Ce ralentissement fait qu’il est impossible, pour beaucoup de produits, de présenter plusieurs choix pour un même type de produits tout en leur assurant un état de fraîcheur acceptable.

Cette même problématique se pose à chaque fois qu’il s’agit de diversifier une gamme de produits périssables. Plus une gamme est fractionnée en plusieurs produits, plus le taux de rotation diminue pour chaque produit, surtout pour les produits qui se ressemblent le plus (des haricots verts provenant de deux origines différentes par exemple). Autrement dit, plus le produit est périssable, plus l’offre devra être restreinte. Sinon, le magasin risque des pertes et de la gaspillage. La Park Slope peut se permettre plus de choix dans leurs rayons frais parce que 17000 membres à y font régulièrement leurs courses alors que nous ne sommes qu’environ 4300 membres actifs qui, pour une bonne partie, ne font pas régulièrement leurs courses à La Louve.

Le fait que plus de 80% des tâches effectuées au supermarché le sont par des personnes qui ne viennent que 3 h toutes les 4 semaines (et qui ne font pas forcément la même tâche à chaque fois) exige une simplification au maximum. En effet, l’équipe qui réceptionne les fruits et légumes et les range en chambre froide sera partie depuis longtemps lorsqu’une autre équipe ira chercher les fruits et légumes pour réassortir le rayon. Il faut donc que les choses soient évidentes pour que les risques d’erreurs soient réduits au minimum. Nous ne pouvons donc pas avoir, pour chaque produit, une provenance française et une provenance étrangère. Ce qu’un primeur peut gérer facilement dans sa boutique, les équipes tournantes de La Louve ne le peuvent pas.

Certains pensent que la différence de prix entre la France et les autres pays européens est de quelques centimes. Quand c’est le cas, nous choisissons les produits français, pourvu que la qualité soit constante. Lorsque nous choisissons des produits étrangers, l’écart de prix est significatif.

Quelques exemples de prix d’achat le 16 août

Produit Origine France Origine Espagne
ail violet 6,19 €/kg 3,85 €/kg en biodynamie
aubergine ovale graffiti 2,35 €/kg 1,4 €/kg
poivron jaune France 4,12 €/kg 2,9 €/kg
nectarine blanche 5 €/kg 3,4 €/kg
pêche jaune 5 €/kg 2,4 €/kg

Comme on peut le constater, la différence de prix est significative. En mai, nous avions des asperges vertes françaises que nous vendions autour 12,45 €/kg. A côté, il y avait des asperges vertes d’Italie vendues à 9,06 €/kg. Bilan de la saison en moyenne de vente par semaine : 72 kg pour les asperges italiennes et 37 kg pour les asperges vertes françaises.

Autre exemple à la même période, les fraises : les membres ont acheté environ 60 kg de fraises françaises par semaine, à 17,08 €/kg. Dans le même temps, ils ont acheté quelque 220 kg de fraises d’Espagne par semaine (et nous étions presque toujours en rupture pendant au moins un jour de la semaine) à 5,33 €/kg. Pendant quelques semaines, nous avons pu réaliser la même expérience avec les poireaux :

– Poireau d’Espagne (2,37 €/kg) : 56 kg vendus par semaine
– Poireau de France (4,28 €/kg) : 23 kg vendus par semaine

Au mois de juin, nous proposions des haricots de deux origines différentes : espagnols à 5,15 €/kg, français à 10,80 €/kg. Les deux se vendaient plutôt bien, bien que souvent confondus lors de la mise en rayon. Les haricots verts français étaient généralement moins disponibles et tombaient souvent en rupture. Par ailleurs, on constatait régulièrement que lorsque leur place se vidait en rayon, certains de nos membres la remplissaient avec les haricots espagnols. En conséquence, la personne qui pensait acheter français était « trompée » et les haricots que nous avions acheté à 3,91 €/kg étaient vendus presque trois fois plus chers. Bien sûr le cas contraire s’est également présenté : les haricots achetés à 8,20 €/kg étaient vendus à 5,15 €/kg. Quoi qu’il en soit, étant donné les écarts de prix, choisir systématiquement la provenance française reviendrait à mettre à l’écart les coopérateurs ayant le moins de ressources.

Composition du rayon à deux moments différents au printemps dernier
Nous proposions 125 produits la semaine du 11 au 17 juin, dont 71 venaient de France, à savoir 60 %. Mais pour comparer ce qui est comparable, nous devons d’abord ôter à ce total de 125 tous les produits qui sont incultivables en France ou qui étaient, ce jour-là ou à cette époque de l’année, indisponibles dans leur version française (les ananas, évidemment, mais aussi parfois les brocolis, aubergines, choux-fleurs).Ce qui ne ferait que 87 produits. 82 % des produits qui pouvaient être achetés « français » l’étaient donc. Qui plus est, nous devons également annuler les doublons (un produit étranger « doublé » d’un produit identique ou très similaire d’origine française, par exemple les courgettes vertes, les haricots verts, certains oignons) ; il resterait alors 72 produits, dont 71 étaient français. Donc, 98,6% des produits pouvant être français l’étaient bel et bien (la même étude pour début mai montre la présence en rayon 97,2% de produits français). L’exception, début mai, était le brocoli

Semaine 19 – début mai :
# total de produits en vente : 126
# produits incultivables ou autrement indisponibles en France : 47
# produits hors-France qui font doublon avec un produit d’origine France : 7
# produits qui pourraient avoir une origine France : 72
# produits d’origine France : 70 (97,20%)

Semaine 24 – mi-juin :
# total de produits en vente : 125
# produits incultivables ou autrement indisponibles en France : 38
# produits hors-France qui font doublon avec un produit d’origine France : 15
# de produits qui pourraient venir de France : 72
# de produits d’origine France : 71 (98,60%)

L’année dernière nous avons à peine vu le brocoli français apparaître sur les mercuriales (les listes quotidiennes qui présentent la disponibilité et les prix des produits) de nos fournisseurs. Quand il y était, il était toujours 2 ou 3 fois plus cher que le brocoli d’Espagne ou d’Italie, et le conditionnement n’était pas le même (ce qui entraîne des difficultés supplémentaires dans le calcul des commandes et l’analyse des ventes). Comme nous étions en même temps en train de hausser le prix des pleurotes de manière conséquente en raison d’un changement de fournisseur et de provenance (La Caverne, porte de la Chapelle), nous n’avons pas changé la provenance du brocoli. Les pleurotes ont vu leurs ventes chuter (le prix a augmenté de 6,95 €/kg à 12,51 €/kg et les ventes moyennes par semaine sont passées de 26 kg/semaine à 13 kg/semaine) mais nous continuons à vendre les pleurotes de la Caverne.

Cependant, nous ne pouvons pas faire ce type de choix avec tous les produits, comme nous venons de le voir, à moins de devenir le supermarché le plus cher du 18e arrondissement. Car on constate à Paris la même chose qu’à Brooklyn : plus le produit est « local », plus il est cher. En France, il y a à cela plusieurs raisons : nous avons déjà cité la faible surface agricole consacrée à la production des fruits et légumes biologiques ; à cela s’ajoute la baisse de main d’œuvre agricole depuis les années 1980, beaucoup plus importante en France qu’elle ne l’est dans des pays tels que l’Italie ou l’Espagne. D’autres facteurs encore, comme les charges plus élevées en France, un coût de la vie plus faible en Espagne, contribuent sans doute à ces écarts de prix importants. Mais globalement, il semblerait que la demande vorace en France de produits biologiques depuis quelques années dépasse toujours, et de loin, l’offre nationale, et cela fait augmenter les prix.

Logistique d’approvisionnement

A la différence de petites boutiques, d’Amap, de groupements d’achats ou autres, La Louve est un supermarché offrant une large gamme de produits en libre-service, sans précommande, six jours par semaine pendant des horaires d’ouverture assez étendus. Excepté au mois d’août, nous recevons environ 9 tonnes de fruits et légumes par semaine, avec des commandes passées et des livraisons réceptionnées tous les jours. Pour des produits périssables tels que les fruits et légumes, nous visons une rotation de stock tous les 3 jours en moyenne. Cela veut dire des commandes plus petites mais plus fréquentes (par exemple : 5 palettes le mardi, 3 le mercredi, 3 le jeudi, 8 le vendredi, peut-être encore 1 le samedi).
Cela veut dire également que si nous voulons pouvoir répondre en temps réel aux fluctuations d’achats des membres, les délais de commandes doivent être très courts. Comme on dit dans le métier, ceci exige un rythme de fonctionnement « A pour B » : une commande passée un jour est livrée le lendemain. Pour éviter que la gestion des achats et du stock ne devienne un cirque impossible à gérer, on ne peut se permettre d’exceptions à cette règle. Ce qu’il ne faut pas oublier lorsqu’on compare La Louve à des Amap ou aux projets comme Kelbongoo, c’est que dans ces cas-là les délais entre la récolte et la vente finale peuvent en théorie être très courts, car toute la marchandise est déjà vendue d’avance. Il n’y a pas de calcul de volumes ni de gestion de stocks à faire. D’où la logistique très différente de ces projets : dans le cas, d’une Amap, ce sont les producteurs eux-mêmes qui viennent déposer les produits qui sont ensuite regroupés dans des paniers à des prix fixés d’avance ; chez Kelbongoo, ce sont les salariés qui jouent le rôle de grossistes, se déplaçant en camion de ferme en ferme pour récupérer la marchandise pour ensuite la distribuer sur une journée, mais avec l’assurance que tout est déjà précommandé. Les acheteurs de la Louve, qui sont également responsables d’un magasin et des équipes de membres, confient ce travail logistique en large partie à des grossistes qui, eux, se chargent de la distribution de centaines de producteurs dont les productions diverses se trouvent dans nos rayons.
Les quelques fournisseurs affichant une offre de « fruits et légumes bio et locaux » nous proposent presque toujours des conditions d’achat difficilement conciliables avec notre fonctionnement : des délais de commandes longs, des livraisons peu fréquentes, en plus de tarifs taillés plutôt à la mesure des petites boutiques ou des restaurateurs (c’est-à-dire très élevés). On peut nous demander, par exemple, de passer commande 4 ou 5 jours avant la date de livraison pour donner aux maraîchers le temps de récolter « sur commande ». Bien que ce soit rassurant pour les producteurs, cela se traduit pour nous soit en pertes et gaspillage, à cause de l’impossibilité de prévoir le vendredi (avant les grosses ventes du week-end) les quantités exactes dont nous aurons besoin le mardi suivant (le risque est alors d’en avoir commandé trop), soit en ruptures, pour la même raison, mais faute de n’avoir pas commandé assez. Ou bien, ce qui nous est arrivé régulièrement aussi, on se retrouve en rupture parce qu’un fournisseur nous annonce le lundi après-midi, après que les commandes sont déjà passées chez nos autres fournisseurs, que, finalement, le producteur de radis n’a pu en récolter et que cette commande sera donc annulée.

Si un produit est rejeté à la réception pour défaut de qualité (vieux, talé, moisi, écrasé, etc.), une société qui prend des commandes « A pour B » tous les jours de la semaine peut souvent remplacer le produit le lendemain. Sinon l’emplacement en rayon reste vide, ou alors les salariés doivent travailler davantage pour essayer de trouver ce produit chez un autre fournisseur dans un très court délai.

Nous travaillons actuellement avec 4 différents fournisseurs, dont certains sont encore en « période d’essai » (et qui représentent à eux 4 des centaines de maraîchers, légumiers et arboriculteurs), et nous espérons en ajouter d’autres dans l’avenir. Mais il est déjà extrêmement compliqué de gérer un rayon qui représente plus de la moitié de celui de Park Slope en nombre de références, avec seulement un huitième de la main d’œuvre salariée. D’ici le début de l’année prochaine, l’un de nos actuels acheteurs d’épicerie frais et sec, Matthieu Ploteau, rejoindra notre acheteur de fruits et légumes, Brian Horihan, pour renforcer la présence des salariés dans les horaires du matin (de 6h à 11h) lors des commandes et livraisons des fruits et légumes. Notre système de commande, de suivi de stock et de ventes, jusqu’ici contenu dans plusieurs classeurs de cadenciers en papier, sera informatisé et géré dans un module en cours de développement, ce qui devrait faciliter la planification et la prise des commandes auprès de plusieurs fournisseurs.

Étendre notre gamme pour inclure des produits non biologiques reste une possibilité, surtout afin de pouvoir proposer une quantité plus large de produits locaux, mais ceci est plus compliqué que l’on peut imaginer. D’abord, notre organisme de contrôle et de certification biologique (Certipaq) exigerait un respect rigoureux des emplacements alors que nos chers membres, bien malgré eux, se trompent régulièrement. A la Park Slope Food Coop, où des produits conventionnels sont vendus aux côtés de produits biologiques, tout un système a dû être mis en place afin de distinguer, à la réception, les produits bio et non bio, souvent par le biais d’un reconditionnement (prenant la forme d’une bande élastique où il est mentionnée « biologique », attachée autour d’un fenouil par exemple) ou par un étiquetage spécifique (sur 62 kilos d’échalotes par semaine, chaque échalote reçoit un sticker). Ce travail implique la mobilisation de 16 créneaux, ou 92 personnes, consacrés à l’étiquetage des fruits et légumes par semaine. Même à notre échelle, nous n’avons pas pour l’instant la main d’œuvre suffisante pour entreprendre un tel travail.

Pour aller plus loin

Petits producteurs 
Chaque fois que nous ajoutons un fournisseur, nous devons bien en peser les enjeux. Si nous ajoutons un fournisseur de 10 produits qui nous livre une fois par semaine, il faut compter 15 minutes du temps d’un salarié pour réceptionner les produits à chaque livraison, puis 15 minutes pour traiter la facture, puis 10 minutes du temps d’un autre salarié pour effectuer le virement. Cela peut sembler peu mais il faut garder en tête que ce travail ne représenterait que 10 produits sur 8000. Il nous faudrait probablement multiplier le nombre de salariés par 5 pour y arriver. Nous espérons un jour pouvoir ajouter plus de petits fournisseurs, mais nous n’en avons pas actuellement les moyens humains.

« Food miles » et empreinte écologique
La notion de « food miles » (« kilomètres-assiette »), qui fait référence à la distance parcourue par un aliment depuis son lieu de production jusqu’au consommateur final, date du début des années 1990 en Angleterre. Les premières études, partant d’une réflexion sur la mondialisation des circuits de distribution, se focalisent essentiellement sur les impacts liés au transport. L’approche sera supplantée assez rapidement par des études « d’analyse de cycle de vie ». Cette méthode cherche à prendre en compte l’intégralité des sources de gaz à effet de serre émis pendant la production et la distribution d’un produit. Une de ces études démontre, par exemple, que sur les 8,1 tonnes de CO2 annuelles liées à l’alimentation d’un foyer américain, 83% sont émises lors de la phase de production. Le transport total n’en représente que 11%. Le transport depuis le producteur jusqu’au magasin détaillant n’en représente que 4%. Parmi les études qui prennent également en compte la préparation des aliments une fois à la maison, la majorité lui attribue une part importante dans les émissions de CO2, à savoir 25% du total en moyenne. Vu sous cet angle, pour le consommateur parisien, l’impact carbone de 150 g de broccolini cultivés manuellement au Kenya serait moins lourd qu’un steak de 150 g issu d’un bœuf élevé dans le Perche.

« Températures de stockage et contrôle de l’humidité (nébulisation) »
Nos chambres froides et meubles frigorifiques sont destinés à maintenir nos fruits et légumes à la bonne température pour leur conservation. L’affectation d’une zone (et donc d’une température) de stockage et de vente pour chaque produit n’est pas un choix arbitraire, mais relève d’une décision consciemment étudiée. Le but du froid, comme le sucre dans la confiture, est de ralentir le développement des bactéries et des moisissures, ainsi que l’action des enzymes qui endommageraient les produits. Les fruits et légumes, comme le fromage, sont gardés au froid tout au long de la chaîne d’approvisionnement, après la récolte, dans les lieux d’entreposage, dans les camions, chez le primeur dans ses chambres froides. Si ce primeur les vend sur ses étals à température ambiante, c’est surtout parce qu’il ne peut pas faire autrement. Très peu de magasins sont équipés de rayonnages réfrigérés permettant de maintenir la chaîne du froid jusqu’à l’achat final. Quant à nous, nous avons ce luxe. Nous avons suivi dans ce sens l’exemple de la Park Slope qui, dans les années 1990, a équipé ses rayon fruits et légumes d’une installation froide afin de mieux conserver les produits.

Tant que les températures de stockage sont respectées et que le produit n’est pas défectueux à la réception, le froid en soi n’abîme pas les fruits et légumes. Les haricots verts, par exemple, exigent une température de stockage plus élevée que les petits pois. C’est pour cela que nous mettons les premiers dans la chambre froide n°5 et les derniers dans la chambre froide n°7. Même chose pour le basilic (CF5) et le coriandre (CF7), les poivrons (CF5) et les poireaux (CF7). D’autres produits ne devraient pas être mis au froid : les tomates, les bananes, etc. D’autres encore sont mis au froid (CF5) ou à l’extérieur selon leur état de mûrissement. Les fruits à coques sont stockés au froid. Seule une température négative, en dessous de 0°, abimerait une salade, ce qui est impossible dans nos installations.

Il est prévu d’installer un système de nébulisation d’eau pour les produits qui pourraient bénéficier d’un taux d’humidité plus élevé : salades, choux kale, blettes, brocolis, navets, etc. Ceci est tout particulièrement important à la bonne conservation des herbes aromatiques fraîches. L’absence actuelle de ce système explique en large partie pourquoi nous ne proposons pas encore une gamme complète d’herbes aromatiques à tout moment.

Un mot sur les pêches
Les arboriculteurs savent que les pêches et les nectarines sont parmi les fruits les plus difficiles à cultiver. L’année dernière, notre principal fournisseur a failli arrêter de les vendre, tant ils posaient problème. Selon lui, les variétés actuellement utilisées en agriculture biologique sont une partie du problème. Nous avons expérimenté cette année avec plusieurs fournisseurs différents, mais il est encore difficile d’en tirer des conclusions. La Park Slope connaît aussi ce problème avec les pêches de New York qui moisissent d’un côté avant d’être mûres de l’autre côté. L’année prochaine, si nous avons les moyens de proposer des produits non biologiques, les pêches et les nectarines seront de bons candidats. Mais le problème, une fois encore, ne serait pas lié à la température de conservation. Les pêches, une fois cueillies, sont habituellement refroidies à une température proche de 0° après avoir subi, dans certains cas, un traitement à l’eau chaude permettant de les protéger des maladies de conservation (moniolioses, gloeosporioses, pénicillium, botrytis…). Il est cependant connu que la zone de température située entre 2° et 8° (« kill zone ») peut compromettre la texture des fruits en les rendant farineux. Nous n’avons pas eu ce problème en les maintenant à une température de 8°à 10°. À la Park Slope, ils ont tout essayé mais les pêches restent compliquées par nature.