La Louve, c’est avant tout un supermarché coopératif, mais elle s’est fixé un 2e objectif : faire de l’éducation populaire. La conférence organisée par Les Amis de La Louve, le 14 mai, en a été un bon exemple. 180 personnes ont pu en apprendre davantage sur le charme discret, mais désormais célèbre, et ô combien important, de notre intestin.

Des dizaines de milliers de milliards de bactéries, virus, champignons, levures et autres microbes squattent notre intestin ! Mais rassurez-vous, ils nous veulent du bien ! Ils composent le fameux microbiote intestinal. Celui dont tout le monde parle et dont sont venus nous parler trois spécialistes : Joël Doré, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique (Inra), André Burckel, pharmacien biologiste et Florence Cosnier, naturopathe et conseil en nutrition. Catherine Puisieux, une coopératrice de toujours de La Louve, avait bien voulu animer cette soirée.

Joël Doré est directeur de recherche à l’unité Micalis (microbiologie de l’alimentation au service de la santé) à l’Inra, pionnier de l’écologie microbienne des écosystèmes digestifs et alimentaires et également directeur scientifique de MetaGenoPolis, une plateforme dédiée à l’étude du génome (c’est-à-dire l’ensemble de l’ADN) du microbiote. C’est un pionnier, puisqu’il étudie le microbiote depuis 35 ans. Il rappelle que, dans nos sociétés occidentales, l’hygiène, la vaccination, les antibiotiques ont fait quasiment disparaître les maladies infectieuses. Mais on voit aujourd’hui exploser des maladies chroniques et inflammatoires, en lien avec notre environnement. Et entre notre environnement et nous, on trouve justement… le microbiote. D’où l’importance de le caractériser, de comprendre son équilibre et ses altérations.

André Burckel, pharmacien biologiste, a été amené à s’intéresser au microbiote par une expérience personnelle d’abord. Confronté à une redoutable hépatite, il décide de changer son alimentation. Lorrain, il adopte le régime crétois et en découvre les bienfaits sur sa santé. « Je ne suis ni chercheur ni trouveur, je suis agrégateur », explique-t-il. C’est donc en compilant les connaissances de nombreuses publications scientifiques qu’il en vient à distinguer un microbiote pauvre, moyen ou riche et comment passer de l’un à l’autre. Il a depuis publié plusieurs livres sur le sujet et mène désormais des recherches scientifiques sur les liens entre alimentation et microbiote.

Florence Cosnier, naturopathe, aide ses clients à prendre en main leur santé : à restaurer leur capital santé ou le maintenir. Et l’alimentation est son 1er axe de travail devant l’activité physique et la gestion du stress. La naturopathie, comme toutes les médecines traditionnelles s’intéresse depuis toujours à la digestion, à l’intégrité des muqueuses digestives et au microbiote : « Un intestin en bon état est coresponsable de notre santé. Avant, des observations empiriques le disaient. Aujourd’hui, la science le vérifie », constate-t-elle.

Un organe à part entière

Joël Doré décrit le microbiote comme un organe à part entière, « un ensemble de cellules, complexe, équivalent au foie en termes de diversité fonctionnelle, et qui interagit avec les autres organes ». Le microbiote de chaque individu est différent. Dans l’utérus de notre mère, notre intestin est encore stérile. Tout commence à la naissance. Ainsi, une personne née par césarienne n’aura pas le même microbiote qu’une autre née par voie basse, car cette dernière aura été « colonisée » par le microbiote de sa mère au cours de l’accouchement. L’allaitement puis la diversification alimentaire feront le reste. Dès l’âge de trois ans, notre microbiote ressemble peu ou prou à celui que nous garderons toute notre vie, sauf accident de parcours. Tout notre tube digestif est ainsi habité, de la bouche à l’anus. Dans l’intestin grêle, on compte environ 1 million de bactérie par millilitre, mais c’est dans le côlon, le « gros intestin », qu’elle sont les plus nombreuses : 1 000 milliards par millilitre. Ces micro-organismes permettent notamment deux choses : elles sont capables de découper certaines molécules dont nos enzymes digestives ne savent pas extraire les nutriments, et elles jouent un rôle dans notre immunité, notre capacité à reconnaître les « gentils » virus, bactéries, levures, etc. des pathogènes qui risquent de nous rendre malade et que les défenses de notre organismes doivent donc combattre.

Bien nourrir son microbiote

Comment entretenir ou enrichir son microbiote ? Par une alimentation diversifiée et riche en fibres. Diversifiée parce que tous ces micro-organismes se nourrissent et donc nous nourrissent de sources diverses de nutriments, il faut donc leur apporter cette variété. Et riche en fibres, parce que c’est leur mets préféré ! Vive donc les fruits, les légumes, les céréales complètes, les aromates…

Selon André Burckel, ce sont ces prébiotiques qui sont importants, bien plus que les probiotiques. Car les probiotiques, ces bactéries qu’on trouve dans les aliments et boissons fermentés, les laitages ou certains compléments alimentaires, ne sont pas assez diversifiées et ne pourront pas s’implanter ni se multiplier dans notre intestin si elles n’y trouvent pas de quoi manger. Mieux vaut donc miser sur les prébiotiques, les fameuses fibres, qui feront un menu diversifié à nos bactéries.
Joël Doré complète ces explications à l’aide d’une vidéo : une pomme est composée de multiples molécules complexes, il faudra de nombreux micro-organismes pour la digérer, alors qu’un bonbon n’est fait que de sucres simples. Si on ne mange pas de fruits, mais plutôt des sucres transformés, de nombreuses bactéries du microbiote se retrouveront au chômage, affamées et finiront par disparaître. Celles qui se régalent de sucres simples feront un festin, mais ne nous apporteront rien de plus que ces sucres.

André Burckel ajoute les bienfaits des bêtaglucanes, des molécules qu’on trouve dans le son d’avoine ou d’orge, qui diminuent la glycémie après un repas et accélèrent le transit, ou encore des polyphénols, qu’on trouve dans les fruits et les aromates, aux propriétés antioxydantes.

Florence Cosnier invite par ailleurs à éviter les cuissons trop fortes qui dénaturent les aliments, comme les fritures qui détruisent les micronutriments tels que les vitamines. Et elle met l’accent sur l’importance de manger lentement et de mastiquer, pour laisser le temps aux enzymes dans la bouche de faire leur travail, pour faciliter ensuite le travail des bactéries et des sucs digestifs et pour laisser le temps également au cerveau de recevoir et traiter les informations venues de l’intestin.

Car on dit aussi désormais de l’intestin qu’il est notre « deuxième cerveau » et en effet, confirme Joël Doré, il contient 200 millions de neurones indépendants. Il cite à l’appui de ces connexions intestin-cerveau des expériences réalisées en laboratoire : en transférant le microbiote d’un animal calme à un animal anxieux, on a rendu le deuxième plus calme, et inversement. Des liens ont aussi été établis entre microbiote et dépression ou microbiote et autisme.

Par ailleurs, il ne suffit pas de rétablir ponctuellement son microbiote par un régime adapté ou des compléments alimentaires, soulignent tous les spécialistes, c’est toute la vie qu’il faut l’entretenir.

Nos questions, leurs réponses

Un long et riche échange avec le public a suivi cette première partie pédagogique.

Quel intérêt de stratégies thérapeutiques comme le transfert de microbiote fécal ? Expliquons d’abord de quoi il s’agit : de transférer les selles d’une personne en bonne santé dans l’intestin d’une autre, malade. Oui, oui, vous avez bien lu, pas très ragoutant, mais tout est réalisé proprement bien sûr, après une filtration, une préparation et des analyses en laboratoire. Le but est que le microbiote de la première remplace ou complète celui, déficient, de la seconde. Et cela s’est révélé très efficace contre une infection chronique due à une bactérie pathogène appelée Clostridium difficile. Les traitements antibiotiques utilisés jusqu’ici n’étaient efficaces que chez 30 % des patients. Le transfert de microbiote fécal en guérit jusqu’à 90 % ! De récents travaux ont aussi montré un effet étonnant contre des troubles du spectre de l’autisme.

Thérapie plus connue et « à la mode » : le jeûne. De l’avis de nos spécialistes, l’impact d’un jeûne prolongé sur le microbiote n’a pas été étudié et semble risqué : « sans apport de fibres pour se nourrir, nos bactéries pourraient bien “manger la maison” » alerte Joël Doré… tandis qu’André Burckel est, lui, adepte du jeûne intermittent, sur 24 h. En sautant le petit-déjeuner ou le dîner par exemple, on laisse ses intestins au repos pendant la majorité du temps : de 21 h à midi le lendemain ou de 14 h à 7h.

Interrogée également concernant l’hydrothérapie du côlon, c’est-à-dire l’idée de laver son côlon par un rinçage, Florence Cosnier avance que « en tant que naturopathe, ça peut faire des miracles, mais pour peu de gens. Et il y a beaucoup de contrindications comme une hypersensibilité des muqueuses ou une hyperperméabilité. »
Hyperméabilité, irritations digestives, intolérances alimentaires, voilà bien des nouvelles pathologies qu’on voit se multiplier et qui pourraient là encore être liées à notre alimentation trop « moderne », trop transformée : certains émulsifiants, des additifs alimentaires qu’on trouve dans des sauces et des plats préparés ont été mis en cause chez l’animal.

Heureusement, notre supermarché préféré regorge de fruits, légumes, céréales, graines, etc. naturelles et bio. De quoi remporter le challenge proposé par Joël Doré : manger non pas 5 fruits et légumes par jour, mais 25 fruits et légumes différents par semaine !

Voir la vidéo de la conférence
Voir la vidéo des échanges avec la salle

Pour en savoir plus :

Une sélection d’ouvrages
Microbiota
Un site d’information sur les phénols
Médiclaro
Le régime Burckel