« Un supermarché coopératif, ça m’a intrigué. J’ai voulu voir si ça marchait. »
Vous l’avez peut-être croisé cet hiver, déambulant dans les rayons, son appareil photo en bandoulière. Lilian Heliot, étudiant à l’école nationale supérieure Louis Lumière, a photographié pendant plusieurs semaines des coopératrices et coopérateurs de La Louve. C’était une commande de la Caisse des dépôts et consignations. Son travail a été présenté en mai, à la galerie du Crous Paris, dans le cadre de l’exposition Réflexion(s). Rencontre.
Parmi les lieux proposés par la Caisse des dépôts, tu as choisi la Louve, pourquoi ?
Lilian Héliot : Je ne connaissais pas La Louve. Mais la thématique de l’alimentation m’intéressait. Je viens de la campagne, j’ai grandi dans une ferme. Et en arrivant à Paris, j’ai été confronté à la perte de qualité de mon alimentation. Je n’avais pas trop de revenus. Et entre Biocoop et Aldi, pour des raisons financières, j’ai préféré aller chez Aldi. Face à cette réalité, l’idée, que certains prônent, d’une alimentation durable, de qualité, accessible à tout le monde me trottait dans ma tête. Et je ne la retrouvais pas dans l’offre à Paris. Du coup, quand j’ai vu, parmi les lieux proposés par la Caisse des dépôts, un supermarché coopératif qui avait pour ambition de rendre accessible au plus grand nombre une alimentation de bonne qualité, ça m’a intrigué. J’ai voulu aller voir si ça marchait.
Comment as-tu travaillé ?
L.H. : Je suis d’abord venu plusieurs fois, en repérage, sans prendre de photos. Pour découvrir le lieu, puis pour rencontrer les personnes qui y travaillent, comprendre le système. Au départ, je comptais suivre un nombre limité de personnes, faire une sorte de série de portraits sociologiques, en allant jusqu’à les accompagner chez elles. Mais ça ne correspondait pas au fonctionnement du lieu qui est basé sur un roulement de beaucoup de personnes qui viennent pour une durée courte (trois heures), pour la plupart une fois par mois, certaines effectuant trois services dans la semaine et ne revenant pas avant trois mois. Quand on vient, on voit rarement les mêmes têtes. Je me suis donc adapté. J’ai pris le parti de rencontrer plein de gens et de travailler sur un temps limité (celui de leur service) avec chacun d’eux. L’idée était de voir les différents profils des personnes investies dans le lieu et recueillir les différents regards portés sur cette initiative. Je suis venu une dizaine de fois, sur des journées et des demies-journées. Quand je peux, j’aime prendre le temps de me familiariser avec le sujet, comprendre comment ça marche. À chaque fois, je discutais avec les personnes durant leur service, et je les faisais poser pour réaliser des « portraits en situation », à la fois en tant que bénévoles faisant leur service et en tant que clients faisant leurs courses. Cette double-casquette, qui fait la particularité du lieu, m’intéresse. J’ai interrogé les coopérateurs sur ces deux aspects : qu’est qu’ils venaient acheter ? Et comment ils s’investissaient dans ce travail ? Ce qui m’intéressait également, c’était de voir quel genre de public se plie à ce genre d’exercice, en a la possibilité, l’envie, la conscience… Car le système de la coopérative, le fait d’allouer de son temps pour bénéficier de prix moins chers, n’est pas une évidence pour tout le monde. Il y a enfin l’idée que participer à la vie du magasin, de la réception des produits jusqu’à leur mise en rayon, en passant parfois par leur conditionnement, va créer une proximité avec ce que l’on consomme. Je trouve cet aspect également intéressant.
Par rapport à ton interrogation de départ sur l’accessibilité d’une alimentation de bonne qualité au plus grand nombre, quelles sont tes observations ?
L.H. : Je tiens à préciser que mon regard est partiel car je suis venu un nombre de fois limité, je n’ai pas fait tous les services, et je n’ai évidemment pas rencontré tous les coopérateurs et coopératrices. Néanmoins, les personnes que j’ai rencontrées étaient surtout des CSP +, même s’il y avait quelques étudiants et étudiantes et quelques artistes. J’ai perçu un décalage avec la population majoritaire du quartier qui est l’un des plus pauvres de Paris. Il y a de fait un petit « entre-soi ». C’est quelque chose dont les coopérateurs et coopératrices que j’ai rencontrés avaient parfaitement conscience. Et qui n’est pas souhaité. Chez les personnes avec qui j’en ai discuté, il y avait un désir de s’ouvrir, une envie que le public se diversifie, mais sans vraiment savoir comment faire. J’ai trouvé cela plutôt positif. C’est une vraie question.
Propos recueillis par Benjamin Sèze.