À la tête de Désirée, il y a deux femmes qui ont décidé de vendre des bouquets de qualité tout en respectant leurs engagements sociaux et écologiques. Audrey Venant et Mathilde Bignon travaillaient toutes les deux dans le monde de la grande distribution, en 2014 germe l’idée de créer une filière dans laquelle il serait possible de proposer une production française de fleurs respectant la nature. Désirée née alors en 2017. Lors de cet échange avec Mathilde, ancienne coopératrice à la Louve, elle nous parle de sa passion des fleurs et de la philosophie qui la pousse à faire grandir son projet.

Nous nous retrouvons dans le café-restaurant qui accompagne la boutique de fleurs située dans le 19e arrondissement, au 96 rue de Meaux, plusieurs vendeuses préparent des bouquets et échangent avec les clients. Mathilde, assise côté café, envoie un dernier mail avant d’entamer la discussion. Sa passion des fleurs est née auprès de sa grand-mère. Une grand-mère qui vivait à Toulon, une région productrice de fleurs et chez qui elle passait ses vacances. Elle l’aide alors à réaliser des bouquets pour les évènements familiaux, un moment pendant lequel se noue un échange privilégié.

Mathilde grandit et travaille comme acheteuse chez Métro et l’enseigne Biocbon. C’est là qu’elle rencontre sa future associée Audrey. Elles dirigent un projet de création d’une filière AOC du fromage, c’est là qu’elles prennent conscience du lien privilégié qu’il faut créer avec les agriculteurs, « on a dû se déplacer dans toute la France et rencontrer de nombreux producteurs ».

« Chez le fleuriste il y a les grandes chaines où les prix sont intéressants mais les fleurs meurent en trois jours. On peut rencontrer des gens qui vous prennent de haut et qui vous font payer 80 euros pour un bouquet emballé dans du plastique mais parfois on a la chance de discuter avec un artisan qui vous chouchouteNous voulions proposer quelque chose de différent ».

Avec Audrey, elles veulent lancer leur propre affaire et vient alors l’idée de vendre des fleurs et de relancer la production française. Une production existante mais minoritaire face aux géants hollandais, éthiopien, équatorien et colombien. Il faut savoir que 80% des fleurs vendues en France sont importées. Car les pays producteurs désaisonnalisent la production des fleurs pour produire en continu. Les Pays-Bas utilisent par exemple des serres chauffées et éclairées, les autres profitent de leur situation géographique à proximité de l’équateur qui offre des conditions idéales d’ensoleillement toute l’année.

Mais ces productions ont un mauvais bilan carbone, utilisent des pesticides et ne respectent pas toujours le code du travail.

Est-il possible de faire autrement ?

« On a découvert que la France était un bassin historique de production qui s’est réduit au fur et à mesure ». Aujourd’hui, il reste trois grands bassins de production : le sud-est avec la région d’Hyères et de Nice, la Bretagne et le bassin parisien. Cette production a dû faire face « à la pression foncière, à la mondialisation et ce sont aussi des métiers pénibles qui n’attirent pas toujours. »

« Aujourd’hui, on réalise qu’il y a un retournement de situation, on se rend compte qu’on a un intérêt à produire localement parce que c’est moins cher et de meilleure qualité, selon nous ».

 

Valoriser un savoir-faire local

La France est le seul pays d’Europe où on peut cultiver des fleurs toute l’année sans chauffer et éclairer des serres. Pour décaler la production de certaines fleurs, il suffit de planter le bulbe plus tôt et de profiter des conditions naturelles, comme celles que l’on retrouve dans le Var. Ainsi, même en nombre limité, il est possible de trouver des fleurs en hiver.

« Entre avril et novembre notre production provient quasiment à 100 % d’Île-de-France. Les graminées, par exemple, viennent du toit de l’hôpital Robert Debré. Les mufliers viennent du Var. »

La majorité des fleurs vendues à Désirée font moins de 50 km pour venir en boutique et viennent essentiellement de producteurs basés en Essonne et Seine-et-Marne. En hiver, une petite partie vient d’Italie, de la région de San Remo.

« Nous connaissons tous les producteurs avec qui nous travaillons. Nous sommes allées sur site pour s’assurer qu’ils respectent nos critères ».

Si elles travaillent avec des serres, celles-ci ne doivent être ni chauffées ni éclairées. « Leur production doit être la plus neutre possible ». L’utilisation d’engrais doit être minimale, « on s’assure de la présence de mauvaises herbes et de coquelicots sur les sites car c’est une variété très sensible aux pesticides ». Et la multiculture est privilégiée.

« Connaître la traçabilité et savoir d’où viennent les choses c’est un travail colossal parce que la majorité des fleuristes travaillent directement avec un grossiste. »

Il a fallu commencer par aller à Rungis pour rencontrer des fournisseurs et les connaître. Et pour certains cela a pris du temps, « Il y a par exemple un producteur extraordinaire de rose parfumée, il nous a fallu un an pour entamer la discussion.  On s’approchait tous les jours et il ne nous regardait pas, il ne voulait pas nous vendre. Maintenant on est copain et on va manger chez lui, c’est le monde agricole qui est ainsi ! ».

Un commerce vertueux

Contrairement aux autres fleuristes, il n’y a pas de chambre froide à Désirée. C’est un moyen d’éviter aux fleurs les chocs thermiques.  Il faut donc gérer les stocks en permanence et être précis dans les achats. Le dimanche à la fermeture des boutiques à 16h, il ne reste plus rien. « On ne doit pas se louper pour ne pas se retrouver sans rien le samedi ou avec un trop plein qu’on devra jeter ou donner aux équipes ».

Cela permet également de travailler avec des variétés plus rares et plus parfumées.

Les fleurs transportées en avion sont effeuillées, car le transport est facturé au poids. C’est également moins de manutention et moins de déchets pour les fleuristes. « Chez nous, on doit préparer les fleurs, on dégage un volume de déchets très important ». Désirée a mis en place un circuit de collecte de déchets à vélo avec la Ferme du rail qui travaille avec les Alchimistes pour fabriquer le compost vendu à la Louve (les Alchimistes récupèrent aussi les déchets organiques de la Louve). Une opération qui coute 150€ par mois et par boutique. La livraison est également assurée par des livreurs à vélo.

Un succès pour Désirée

Le premier café-boutique a été ouvert dans le 11e en 2017 ainsi qu’un atelier entièrement consacré à l’évènementiel dans le même arrondissement. Mais avec le covid, la partie restauration a fermé. « Le local était trop petit et on perdait de l’argent ». Avec la seconde boutique, Désirée salarie vingt personnes dont huit pour la partie restauration. « Nous avons réussi à fidéliser une équipe et à pérenniser cind emplois, on propose une cuisine de qualité, bio et de saison à des prix abordables ». Tout cela s’explique par la structure de la société, une SAS (société à action simplifiée) de l’économie sociale et solidaire c’est-à-dire qu’elle doit respecter certaines conditions : « les dirigeants sont limités dans leur rémunération, il y a des règles sur la distribution des richesses et on a un comité de gouvernance qui intègre tous les participants à l’entreprise ».

Désirée mise sur la quantité pour faire vivre l’entreprise, sans négliger la qualité. « Nos prix sont inférieurs à ceux proposés dans certaines chaînes et nos fleurs ont une meilleure durée de vie ».

«Comme les formations actuelles n’ont pas une approche neutre en carbone nous essayons de diffuser cette idée en « déformant » les personnes que nous accueillons en apprentissage ». Deux d’entre elles ont ainsi voulu essaimer la philosophie de Désirée. Arrivées en fin de parcours et soutenus par les deux entrepreneuses, ces personnes seront à la tête des deux nouvelles boutiques qui vont ouvrir prochainement dans les 6e et 14e arrondissements de Paris.

Des fleurs libres et engagées

À 36 ans, malgré les épreuves et la fatigue l’enthousiasme de Mathilde est toujours aussi fort : « Cela fait sept ans qu’on est à fond mais je n’ai pas l’impression de travailler. On a une super équipe ! ». Il y a quatre ans, elle ne pensait pas qu’un nouveau modèle, plus collaboratif, serait en train d’émerger mais « ce changement est là et cela suscite de l’espoir. Il y a une prise de conscience dans le secteur mais la problématique est encore peu connue du grand public ».

 

Les bouquets vendus en ce moment à la Louve sont à 17€62 et sont livrés le vendredi.