Découverte de la Louve et participation (2013 – 2016)

C’est un heureux hasard en 2013 qui m’a mise sur la piste du projet de la Louve dont les principes me paraissaient tout simplement impensables dans un monde tel qu’il est. J’apprends plus tard que le modèle de cette encore hypothétique coopérative est la Park Slope Food Coop fondée dans les années 70 à Brooklyn; celle-ci s’est inspirée d’une coopérative fondée un siècle auparavant à Paris en 1877, aux lendemains de la Commune par des ouvriers mécontents de la nourriture de leur cantine. Ces éléments historiques ne font que renforcer mon adhésion. De 2013 à août 2016 je participe à de nombreux « ateliers de mise en place » mais je rate de deux mois l’ouverture rue des Poissonniers pour partir vivre au Brésil. Une longue expatriation sur un autre continent m’empêche de suivre l’évolution de La Louve in situ. Je me tiens au courant de loin en loin grâce à la Louveletter reçue par courriel (son format, son contenu général et les infos que j’y trouve me conviennent parfaitement.) 

Retour à La Louve

Juin 2022, six ans plus tard, de retour à Paris, je redeviens coopératrice active. Ce sont des premiers pas timides que je fais dans le nouveau local car je suis saisie par la taille de ce vaste magasin de deux étages bien achalandé, semblable à première vue à une grande surface habituelle. Contraste saisissant avec le joyeux bazar de la Louve Goutte d’Or faite de bric et de broc. Là-bas, peu de produits même si choisis avec critères.

Version rue des Poissonniers, la quantité, la variété et la qualité des produits présents sur les rayonnages, le nombre de linéaires des rayonnages, la présence de fruits et légumes frais, la variété des épices et de thé, le vrac, des produits sans gluten, et j’en passe, tout m’ébahit. Je devine la technicité derrière la gestion des stocks, la conservation des produits périssables, la coordination pour attribuer les tâches lors des nombreux services des « coops actifs » etc…

Matthieu Ploteau, salarié, s’amuse de ma surprise et me demande un témoignage. J’accepte et le remercie ici de sa proposition. Cela m’a donné l’occasion de me remémorer les moments heureux du petit local de la Goutte d’Or mais aussi de réfléchir au concept de la « grande consommation » à grande ou petite échelle que nous autres citadins, sommes obligés de subir ; en comparaison, cela me permet d’apprécier les principes pratiqués à la Louve, principes récemment énumérés par Tom lors d’une visite guidée. 

Dès mon premier achat dans le nouveau local, je ressens comme un contentement indéfinissable que je tente de définir sans arriver à y mettre des mots, sinon un sentiment de confiance. En y prêtant attention c’est l’odorat qui me met sur une première piste : La Louve ne pue pas comme les magasins de même superficie. Elle ne sent rien, ni bon ni mauvais. L’habitude est si vite prise que les odeurs des grandes surfaces lambda me donnent désormais le haut le cœur.

Autre raison : arrivée aux caisses, je réalise que je ne suis plus saisie de cette légère anxiété qui me fait vider illico presto mon panier sur le tapis roulant en bon petit robot formaté du consumérisme ; finie cette impression d’être une lambine, une citadine imparfaite ou une bécasse aux caisses automatiques ; fini de râler en silence contre ces machines qui ôtent du travail aux caissières tout en me lamentant sur le sort de ces dernières derrière leurs caisses. A la Louve, on prend son temps, on vous sourit, on vous aide à emballer, ou vous dit des mots gentils on vous lance des blagues, on se renseigne sur le produit que tu as choisi, comment tu l’accommodes… ou alors rien de tout ça, mais on vous fiche la paix…c’est réjouissant !

Autre raison : la sécurité que les denrées périssables ont été choisies avec soin, avec critère et même avec bienveillance participe de cette confiance. Et je flâne entre les rayons à la découverte. Il suffit de demander un renseignement à d’autres coop sur des produits inconnus pour avoir une réponse.

En tant que coopératrice, je suis un peu chez moi à La Louve comme tous les autres « coops » ; et comme eux je participe à la fabrication de ce bien être. Y faire mes courses me déleste du rapport ambigu qui me colle à la peau depuis que je suis en âge de remplir mon panier hebdomadaire. Comme si je m’étais enfin débarrassée d’un truc aussi agaçant qu’une étiquette polyester qui gratte. C’est quand même embêtant de se demander jour après jour si ce que j’achète est digne de confiance, si le prix que je paye est justifié tout en sachant que j’engraisse de parfaits inconnus en leur achetant des nouilles ou du fromage. Avec des enfants en bas âge, l’incommodité était encore plus forte : comment leur éviter les conditionnements plastiques, le lait des grandes industries alimentaires etc… il a fallu passer mon temps à déjouer toutes les manigances de séduction commerciale. Au quotidien, cette injure au bon sens est épuisante !

Ennuyeux de bâcler les courses pour ne pas entendre cette musique lancinante faite pour vous étourdir le cerveau.

Et c’est ainsi que je réalise bien tard que Manger est instinctif, consommer tient du politique

Nous ne vivons plus au temps des chasseurs cueilleurs, mais il nous reste un zeste de cerveau reptilien qui nous rend agréable d’aller chercher sa salade dans le jardin et quelques œufs frais au poulailler. En ville, il faut s’en remettre à d’autres à condition que ces autres soient respectueux.

Au 116 rue des Poissonniers, tout en se sentant un peu chez soi, la note baisse considérablement, la confiance règne, les produits sont bons et variés.

Manger sainement sans se faire plumer, c’est précieux.

Petite précision me dit-on : il faut avoir ses propres critères d’achat. Les salariés ne sont pas les seuls à choisir ce que l’on trouve sur les rayons. Car chaque « coop » peut faire ses propositions. Chaque produit sera mis à l’épreuve d’un premier critère, le second sera l’acceptation ou le rejet des acheteurs.

En conclusion, gratitude pour tous ceux qui ont contribué à ce que La Louve existe telle qu’elle est actuellement, pour ceux qui en font beaucoup plus que demandé et pour nous tous qui poursuivons ce projet avec nos services et ce qu’il nous reste à faire, que nous soyons rêveurs ou les pieds bien sur terre !

PS :  ce récit va être enrichi par d’autres collectés au gré des rencontres pour les prochaines Louveletters.

Fabienne présente depuis 2011 vient de laisser le sien en audio, en cours de transcription. Marie-Paule et Guillaume sont les suivants. Qui d’autre….